Expo à fleur de peau

Retour sur le blog après un an (mais qu’est-ce qu’un an dans une vie) pour parler de la superbe exposition consacrée aux « Tatoueurs, tatoués » au Musée du Quai Branly.
Un tour d’horizon très complet aussi bien dans le temps que dans l’espace qui permet d’appréhender l’évolution des évocations et significations du tatouage : depuis la marque d’infamie – « enfant du malheur » tatoué sur le front – à la revendication d’une personnalité unique (qui passe pourtant par le même mode d’expression) en occident et, inversement au Japon, de l’art ornemental inspiré des estampes au tatouage désormais associé au monde des yakuza et donc interdit dans les lieux publics comme la plage ou la piscine.


Entre tatouages tribaux et magiques, acceptation de la douleur et ingéniosité des prisonniers-tatoueurs obligés de fabriquer leur matériel clandestinement, le plus fascinant reste les systèmes de signes secrets créés par les adeptes de « la bousille ».

Au début du siècle, les tatouages constituent une carte d’identité très précise de ceux qui les portent en dévoilant/trahissant leur histoire personnelle et/ou les lieux (souvent "de privation de liberté") par lesquels ils sont passés.

Le système adopté par les zeksprisonniers des goulags russes, qui a inspiré de nombreux livres et documentaires, a créé une esthétique très particulière, au carrefour de plusieurs influences : code des criminels lambda (un chat = voleur, une tête de mort = assassin, etc.), symboles spécifiques à la mafia (les boussoles sur les genoux et en haut des pectoraux qui indiquent le rang au sein de l’organisation, voir Viggo Mortensen dans « Eastern Promises » de Cronenberg) et références religieuses (les fameuses coupoles orthodoxes, le plus souvent en nombre, chacune représentant un passage en prison).



Ce langage secret a notamment été décrypté et transcrit par Dantsig Baldaev, un ancien gardien de prison et ancien officier du ministère de l'Intérieur soviétique, et constitue une tentative de sociologie du monde carcéral soviétique.
Alors que le format Masterchef a désormais sa déclinaison dans le monde du tatouage (« InkMaster », diffusé en France sur la chaîne Numéro 23) et que les puristes se désolent  de la diffusion d’un phénomène autrefois réservé à des groupes très spécifiques, le tatouage n’est-il pas devenu une manifestation de ce « personal branding » dont on parle tant ?


Mon tatouage/logo, mes valeurs, ma marque : après tout, le « branding » trouve son origine dans le marquage au fer rouge des troupeaux de bovins. 
Le tatouage répond-il à un besoin de se démarquer au sein d’un monde où les logos sont omniprésents en arborant son « logo » personnel ? Un corps non-tatoué ressemblerait-il à un corps « générique », au même titre – pour pousser la comparaison – qu’un produit générique ?





Quelle que soit la réponse à cette question, le tatouage permet d’aborder une multitude de questions, de la quête identitaire (qui suis-je ?, qu’est-ce qui compte pour moi ?) au choix de son expression (comment dire ce que je veux dire ? quel symbole ?), mais aussi de découvrir des « tattoo artists » de grand talent.



Après tout, un tatouage n’est-il pas avant tout une œuvre d’art à porter sur soi ? Ce n’est pas Kate Moss, avec son tatouage signé Lucian Freud (et estimé par les journaux britanniques à 1 million de livres) qui me contredira…   

Comments

Post a Comment